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A MEDITER : échanges entre Saladin et Nathan le sage

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A MEDITER : échanges entre Saladin et Nathan le sage Empty A MEDITER : échanges entre Saladin et Nathan le sage

Message par everhard Mar 15 Oct - 8:57

SALADIN. - Je sollicite tes enseignements en une tout autre matière, une tout autre matière... Puisque, paraît-il, tu es si sage, dis-moi donc une fois.., quelle est la foi, quelle est la loi qui t’a semblé la plus lumineuse ?
NATHAN. - Sultan, je suis juif.
SALADIN. - Et moi, musulman. Entre nous, il y a le chrétien... De ces trois religions, une seule, après tout, peut être la vraie... Un homme comme toi ne reste pas fixé au point où l’a jeté le hasard de sa naissance : ou, s’il y reste, il y reste consciemment, pour certaines raisons, par choix du mieux. Allons ! fais-moi part, donc, de ton avis. Fais-moi entendre les raisons sur lesquelles je n’ai pas eu le temps de ratiociner. Fais-moi savoir - en confidence, cela va sans dire - le choix que ces raisons ont déterminé, pour que je le fasse mien. Comment ? Tu hésites ? Tu me pèses du regard ? ... Il se peut bien que je sois le premier sultan à qui prenne pareille fantaisie ; mais fantaisie qui ne me semble pas, à vrai dire, tellement indigne d’un sultan... Ne trouves- tu pas ? ... Alors, parle ! explique-toi ! ... Ou désires-tu un instant pour réfléchir Bon, je te l’accorde... (Ecoute-t-elle ? Je veux tout de même aller l’épier ; je veux savoir si j’ai bien manoeuvré...) Réfléchis. Réfléchis vite ! Je ne tarderai pas à revenir. (Il passe dans la pièce voisine, où Sittah s’était rendue).
SCENE VI
NATHAN
, seul.
Hum ! hum ! ... étrange 1... Qu’est-ce donc que j’éprouve ?... Que me veut le Sultan Quoi Je m’attends à de l’argent, et il veut.., la vérité. La vérité Et il la veut aussi.., aussi nue, aussi éclatante, ...que si la vérité était une monnaie ! ... Oui, si elle était encore une très vieille monnaie, de celles que l’on évaluait au poids ! ... Passe encore ! [1] Mais une monnaie toute neuve, qu’on ne peut compter qu’au guichet, elle n’est pas cela, tout de même ! Comme on empoche de l’argent, alors, on encaisserait dans sa tête la vérité, elle aussi Çà, qui donc est, ici, le juif Lui ou moi ?
Mais quoi Pourquoi n’exigerait-il pas, en vérité, la vérité ... C’est vrai, c’est vrai, ü y aurait vraiment par trop de mesquinerie à le soupçonner de n’employer la vérité que comme un piège... Trop de mesquinerie Trop de mesquinerie ? ... Qu’est-ce donc qui est trop mesquin pour un grand ?... C’est sûr : il est entré si brusquement en matière ! Au moins, on frappe à la porte, on écoute d’abord, quand on s’approche en ami... Il faut que j’y aille avec précautions ! ... Et comment ? Comment cela ?, Vouloir ainsi être juif à tous crins, non, cela ne va pas ! ... Et pas du tout juif, moins encore. Car, pourrait-il me demander, si tu n’es pas juif, pourquoi pas musulman ? ... Ah ! j’y suis ! Voilà qui peut me sauver ! ... Il n’y a pas que les enfants qu’on nourrit de contes de fées... Il vient. Eh bien, qu’il vienne don.
SCENE VII NATHAN et le SULTAN
SALADIN
(à part). - Comme cela, nous avons ici le champ libre ! ... [2] Je ne reviens pas trop vite, à ton gré ? Tu es au terme de ta méditation ?... Eh bien alors, parle ! Pas une äime ne nous écoute.
NATHAN. - Ah, si seulement l’univers entier nous écoutait
SALADIN. - Nathan est donc à ce point sûr de son fait ? ah, voilà ce que j’appelle un sage ! Ne jamais celer la vérité ! Pour elle, mettre tout en jeu ! ses biens et son sang !
NATHAN. - Oui certes, quand c’est nécessaire et utile.
SALADIN. - Désormais, j’ose espérer porter à bon droit l’un de mes titres : celui de redresseur du monde et de la loi [3].
NATHAN. - Un beau titre, ma foi ! Mais, Sultan, avant que je me confie entièrement à toi, me permettras- tu peut-être de te conter une petite histoire ?
SALADIN. - Pourquoi pas ? J’ai toujours aimé les petites histoires, bien contées.
NATHAN. - Ah oui, bien contées, ce n’est pas trop mon affaire.
SALADIN. - Déjà reparaît cette modestie mêlée d’orgueil ? ... Allons, raconte, raconte
NATHAN. - Il y a des siècles de cela, en Orient, vivait un homme qui possédait un anneau d’une valeur inestimable, don d’une main chère. La pierre en était une opale, où se jouaient mille belles couleurs, et elle avait le secret pouvoir de rendre agréable à Dieu et aux hommes [4] quiconque la portait animé de cette conviction. Quoi d’étonnant si l’Oriental la gardait constamment au doigt, et prit la décision de la conserver éternellement à sa famille ? Voici ce qu’il fit. Il légua l’anneau au plus aimé de ses fils, et il statua que celui-ci, à son tour, lèguerait l’anneau à celui de ses fils qui lui serait le plus cher, et que perpétuellement le plus cher, sans considération de naissance, par la seule vertu dc l’anneau, deviendrait le chef, le premier de sa maison... Entends-moi, Sultan.
SALADIN. - Je t’entends. Poursuis !
NATHAN. - Ainsi donc, de père en fils, cet anneau vint finalement aux mains d’un père de trois fils qui tous trois lui obéissaient également, qu’il ne pouvait par conséquent s’empêcher d’aimer tous trois d’un même amour. A certains moments seulement, tantôt celui-ci, tantôt celui-là, tantôt le troisièxhe... lorsque chacun se trouvait seul avec lui et que les deux autres ne partageaient pas les épanchements de son coeur, ...lui semblait plus digne de l’anneau, qu’il eut alors la pieuse faiblesse de promettre à chacun d’eux. Les choses allèrent ainsi, tant qu’elles allèrent... Mais la mort était proche, et le bon père tombe dans l’embarras. Il a peine à contrister ainsi deux de ses fils, qui se fient à sa parole... Que faire ... Il envoie secrètement chez un artisan, auquel il commande deux autres anneaux sur le modèle du sien, avec l’ordre de ne ménager ni peine ni argent pour les faire de tous points semblables à celui-ci. L’artiste y réussit. Lorsqu’il apporte les anneaux, au père, ce dernier est incapable de distinguer le sien, l’anneau modèle. Joyeux et allègre, il convoque ses fils, chacun à part, donne à chacun sa bénédiction, …et son anneau, …et meurt. Tu m’écoutes, n’est-ce pas Sultan
SALADIN (qui, ému, s’est détourné de lui). – J’écoute, j’écoute ! … Viens-en bientôt à la fin de ton histoire… Est-elle proche
NATHAN. – J’ai fini. Car la suite, désormais, se conçoit d’elle-même… A peine le père mort, chacun arrive avec son anneau, et chacun veut être le chef de la maison. On enquête, on se querelle, on s’accuse. Peine perdue ; impossible de prouver quel était le vrai anneau… (.lftès une pause, pendant laquelle il attend la réponse du Sultan) : Presque aussi impossible à prouver qu’aujourd’hui pour nous… la vraie croyance.
SALADIN. – Comment ? c’est là toute la réponse à ma question
NATHAN. – Mon excuse simplement si je ne me risque pas à distinguer les trois anneaux, que le père a fait faire dans l’intention qu’on ne puisse pas les distinguer.
SALADIN. – Les anneaux ! … Ne te joue pas de moi ! … Je croirais, moi, qu’on pourrait malgré tout faire une différence entre les religions que je t’ai nommées, vêtement compris, boire et manger compris !
NATHAN. – D’accord, sauf en ce qui regarde leur fondation… Toutes en effet ne sont-elles pas fondées sur l’histoire écrite ou transmise ? Et l’histoire ne doit-elle pas être crue uniquement sur parole, par la foi ? … n’est-ce pas ? … Or, de qui met-on le moins en doute la parole et la foi ? Des siens, n’est-il pas vrai ? De ceux de notre sang, n’est-il pas vrai ? De ceux qui nous ont depuis l’enfance donné des preuves de leur amour, n’est-il pas vrai qui ne nous ont jamais trompés que là où il était meilleur pour nous d’être trompés ?... Comment croirais-je moins mes pères que toi les tiens ou inversement ? C’est également vrai pour les chrétiens. Ne trouves-tu pas ?
SALADIN (à part). - Par le Dieu vivant ! cet homme a raison. Je ne puis que me taire.
NATHAN. - Mais revenons à nos anneaux. Comme déjà dit, les fils se citèrent en justice et chacun jura au juge qu’il tenait directement l’anneau de la main du père... à combien bon droit, d’ailleurs ! ... après avoir obtenu de lui, depuis longtemps déjà, la promesse de jouir un jour du privilège de l’anneau.., combien non moins vrai ! ... Le père, affirmait chacun, ne pouvait pas lui avoir menti ; et, avant de laisser planer ce soupçon sur lui, ce si bon père, il préfèrerait nécessairement accuser de dol ses frères, si enclin fût-il par ailleurs à ne leur prêter que les meilleures intentions. Il saurait bien, ajoutait-il, découvrir les traîtres, et se venger.
SALADIN. - Et alors, le juge ?... J’ai grand désir d’entendre le verdict que tu prêtes au juge. Parle !
NATHAN - Le juge dit : Si vous ne me faites pas, sans tarder, venir céans votre père, je vous renvoie dos à dos. Pensez-vous que je sois là pour résoudre des énigmes ? Ou bien attendez-vous que le vrai anneau se mette à parler ? Mais, halte ! J’entends dire que le vrai anneau possède la vertu magique d’attirer l’amour : de rendre agréable à Dieu et aux hommes. Voilà qui décidera ! Car les faux anneaux, eux, en seront quand même incapables ! ... Eh bien : lequel donc deux d’entre vous aiment-ils le plus ? ... Allons, dites-le ! Vous vous taisez ? Les anneaux n’ont d’effet que pour le passé ? Ils ne rayonnent pas au dehors ? Ce que chacun aime le mieux, c’est simplement soi-même ? Oh, alors vous êtes tous les trois des trompeurs trompés ! [5] Vos anneaux sont tous les trois faux. Il faut admettre que le véritable anneau s’est perdu. Pour cacher, pour compenser la perte, le père en a fait faire trois pour un.
SALADIN. - Superbe ! Superbe !
NATHAN. - Et en conséquence, continua le juge, si vous ne voulez pas suivre le conseil, que je vous donne en place de verdict : allez-vous en ! ... Mais mon conseil, lui, est le suivant prenez la situation absolument comme elle est. Si chacun de vous tient de son père son anneau, alors que chacun, en toute certitude, considère son anneau comme le vrai... Peut-être votre père n’a-t-il pas voulu tolérer plus longtemps dans sa maison la tyrannie d’un seul anneau ?... Et il est sûr qu’il vous a tous trois également aimés, puisqu’il s’est refusé à en opprimer deux pour ne favoriser qu’un seul... Allons ! Que chacun, de tout son zèle, imite son amour incorruptible et franc de tout préjugé ! Que chacun de vous s’efforce à l’envi de manifester dans son anneau le pouvoir de la pierre ! Qu’il seconde ce pouvoir par sa douceur, sa tolérance cordiale, ses bienfaits, sa soumission profonde à Dieu ! Et quand ensuite les vertus des pierres se manifesteront chez les enfants de vos enfants ; alors, je vous convoque, dans mille fois mille ans, derechef devant ce tribunal. Alors, un plus sage que moi siègera ici, et prononçera. Allez ! ... Ainsi parla le juge modeste.
SALADIN. - Mon Dieu ! Mon Dieu ! !
NATHAN. - Saladin, si tu te sens être ce plus sage...
SALADIN (qui se précipite sur lui et lui saisit la main, qu’il n’abandonne plus jusqu’à la fin). - Moi, poussière Moi, néant O Dieu !!
NATHAN. - Qu’as-tu donc, Sultan ?!
SALADIN. - Nathan ! mon cher Nathan ! ... les mille fois mille années de ton juge ne sont pas encore révolues... Son tribunal n’est pas le mien... Va ! ... va Mais sois mon ami. …/…

Notes

[1] Lessing se souvient ici (dit B0XBERGER) de sa traduction de la Morale de Hutcheson, Ü, 002, où se rencontrent pareilles réflexions.

[2] Sittah n’écoute plus à la porte.

[4] (1) Saint Lue, Ü. 52 (Dülntzer).

[5] DÜNTZER cite ici Saint Augustin (decepti deceptores ; Boxberger, Leibniz !) et explique : « trompeurs, parce que chacun cherche ä faire croire qu’il a le vrai anneau ; trompé par le père qui leur a 1égué un faux anneau «
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